EXPÉRIENCES COLLECTIVES

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Réflexions sur les conflits

1084 Peinture tantrique

1084 Peinture tantrique

Ces réflexions sont inspirées par mon observation des conflits du monde, mon émerveillement devant la paix dans laquelle vivent les sages qui ont appris à les transcender, les enseignements du bouddhisme et du shivaïsme du Cachemire, et mes expériences personnelles. Elles ne prétendent pas répondre à tous les cas de conflit ; il y aura toujours des cas particuliers et des exceptions, qui, pourrait-on dire, confirmeront leur pertinence.

Les conflits sont des situations complexes et généralement douloureuses. Ils peuvent se produire à tous les niveaux de la société, entre toutes les personnes et entités qui la constituent, et dans toutes les circonstances.


La nature des conflits

Les conflits font partie de la vie de l’être humain ordinaire, qui se considère comme une entité individuelle séparée des autres et du tout, et qui doit se battre ou se défendre pour survivre, ou plus généralement pour se faire respecter, reconnaître, accepter et aimer. Cette lutte et cette défense, et les conflits qu’elles impliquent, sont des stratégies de l’ego qui, malheureusement, parviennent rarement à satisfaire ses aspirations et produisent plus souvent la guerre et la souffrance que le bonheur et la paix.

Les situations conflictuelles sont nombreuses et variées, mais il faut noter qu’elles ne sont en général pas la cause du conflit, même si elles en offrent le potentiel. Une situation conflictuelle ne crée pas toujours un conflit.

Le premier principe des conflits est qu’il faut être deux pour créer un conflit. Il peut s’agir de deux personnes physiques, mais aussi de deux entités ou personnes morales (couples, familles, entreprises, institutions, administrations, races, religions, pays, etc.) ; ou d’une personne et d’une de ces entités. Lorsqu’on parle de conflits intérieurs, il s’agit d’un conflit entre deux subpersonnalités d’une même personne. On peut ressentir ou souffrir d’un conflit lorsqu’on est une de ces deux personnes, qu’on fait partie d’une de ces entités, ou qu’on soutient une des deux personnes ou entités. Pour simplifier, je nommerai ces deux personnes ou entités « les deux parties », ou bien « je ou nous » et « l’autre ».

La bonne nouvelle, c’est que tout conflit peut avoir une fin, et qu’il ne suffit que d’une personne pour mettre fin à un conflit, comme nous le verrons plus loin.

Il est important au départ de bien comprendre la nature du conflit et quelle situation conflictuelle en est la source.

Liste non exhaustive des principales situations conflictuelles

Une des parties demande quelque chose à l’autre et l’autre refuse de lui donner ou de lui accorder ce qu’elle lui demande.

Les actions, paroles ou comportements de l’une des parties déplaisent à l’autre.

Une des parties se sent agressée, blessée, trahie, abusée, harcelée par les actions, paroles ou comportements de l’autre, ou les considère comme des injustices.

Une partie revendique des droits que l’autre partie refuse de lui accorder.

Une partie refuse d’accomplir les devoirs ou de respecter les lois que l’autre lui impose.

Une des parties abuse de son pouvoir au détriment de l’autre (conflit de pouvoir).

Les deux parties ont des opinions, des croyances, des valeurs, des principes, des habitudes qui diffèrent et ne sont souvent pas compatibles (conflits d’opinion).


La cause des conflits

Il faut bien noter qu’une situation conflictuelle n’est pas par elle-même la cause d’un conflit. La véritable cause est la réaction négative de l’une des parties à la situation conflictuelle. S’il n’y a pas de réaction négative, il n’y a pas de conflit.

Par exemple : je demande quelque chose à l’autre et l’autre refuse ma demande. Si j’accepte le refus ou y réagit positivement, il n’y a pas de conflit. Je ne suis pas obligé de me considérer comme une victime lorsqu’un de mes désirs n’est pas satisfait. Par contre, si je réagis négativement au refus de l’autre – que j’insiste, utilise le chantage, la menace, des représailles ou intente un procès pour essayer obtenir malgré tout ce que j’ai demandé – il y a un conflit. Et ce qu’il est important de comprendre ici, c’est que c’est moi, ma réaction négative, qui est la cause du conflit, et non le refus de l’autre.

Dans cet exemple, il y a deux situations conflictuelles neutres : ma demande et le refus de l’autre. La troisième situation conflictuelle, ma réaction négative, est celle qui crée le conflit. Mais ce n’est pas toujours le cas. Si l’autre est plus sage que moi, qu’il réagit positivement à ma réaction négative et accepte de revenir sur son refus et de me donner ce que je demande, le conflit sera aussi évité.

Il faut noter ici, toutefois, que si on peut avoir un certain contrôle sur ses propres réactions, on en a rarement sur celles des autres. Et si on obtient une réaction positive de l’autre par le chantage, la menace, les représailles ou un abus de pouvoir, on n’évite pas vraiment le conflit, mais au mieux on le repousse, car, dans la plupart des cas, l’autre nous en gardera rancune et cherchera la première occasion de se venger.


Éviter les conflits

Avant de voir comment mettre fin à un conflit qui a déjà éclaté, il est important de voir comme éviter les conflits. Il s’agit simplement d’éviter de créer des situations conflictuelles qui risquent de se transformer en conflits.

Comme pour la résolution des conflits, cela peut paraître simple, mais ce n’est pas nécessairement facile, car l’ego a généralement des habitudes conflictuelles qu’il ne lui est pas facile de changer ou auxquelles il n’est pas prêt à renoncer.

Le premier principe, très général, est de toujours préférer la paix à toute gratification ou avantage personnel.

Ensuite, pour éviter de créer des situations conflictuelles, il faut :

Ne rien demander (on peut quand même demander l’heure !).

Dans la mesure de nos possibilités, ne jamais refuser ce qu’on nous demande.

Si notre attitude ne pourra jamais plaire à tout le monde, efforçons-nous de contrôler autant que possible nos actions, paroles et comportement afin d’éviter d’agresser, blesser, trahir, abuser ou harceler autrui.

Ne revendiquer aucun droit, mais accepter d’avoir des devoirs à accomplir et des lois à respecter.

Ne pas abuser du pouvoir qu’on peut avoir sur autrui.

Accepter les opinions, les croyances, les valeurs, les principes, les habitudes d’autrui, même si nous ne les approuvons pas. Éviter la confrontation, l’argumentation, la provocation et les discussions conflictuelles.

Éviter d’exprimer ses propres opinions, surtout sur des sujets sensibles, comme la politique, la religion, le sport… ou les conflits. Et je suis conscient qu’en écrivant ces réflexions, je romps un de ces principes et m’expose donc à des conflits !

Bien sûr, ces principes demandent beaucoup d’abnégation, mais c’est le prix à payer pour vivre toujours en paix. La plupart des gens préfèrent conserver une certaine dose d’égoïsme, quitte à endurer les conflits que leurs attitudes ne manqueront pas de générer.


Mettre fin aux conflits existants

Le premier principe, ici aussi, est de désirer la paix à tout prix, et d’accepter de renoncer à toute gratification ou avantage personnel.

Il faut ensuite reconnaître sa part de responsabilité dans le conflit, et comprendre que même quand l’autre refuse de changer son attitude et ses exigences, si nous, nous changeons les nôtres, ce sera suffisant pour mettre fin au conflit.

Tant qu’on considère qu’on a raison et que l’autre a tort, et qu’on veut gagner, il n’est pas possible de résoudre un conflit, car l’autre a la même vision de la situation. Il faut savoir donner une victoire apparente à l’autre, tout en sachant que la seule vraie victoire, c’est la paix, et qu’elle appartiendra toujours aux deux parties.

Toutefois, pour que ce changement soit efficace, il faut qu’il soit sincère. Pour cela, il faut d’abord cesser d’accuser l’autre, mais essayer de se mettre à sa place et de comprendre et d’accepter son attitude, même si on ne l’approuve pas. Ensuite, il faut lui pardonner pour ce dont on l’accusait, et lui demander pardon de lui en avoir voulu, sans garder aucun ressentiment à son égard. Et il ne faut à aucun moment se considérer comme un perdant ou une victime.

Si on a le courage de faire ce premier pas et de donner la victoire à l’autre pour obtenir la paix, on sera souvent étonné du résultat. Il est fort probable que l’autre changera aussi son attitude et finira par nous accorder ce que nous désirons.

 

Une autre méthode pour mettre fin à un conflit est de faire un procès et de demander à la justice de régler le conflit, ou dans certains cas de le demander à un médiateur. Mais cette méthode n’assure pas une paix totale et durable. Celui qui a perdu le procès, ou dont le médiateur ne reconnaîtra pas les revendications, se sentira toujours lésé et gardera rancune à l’autre. Il contestera souvent la neutralité ou l’intégrité des juges ou médiateurs, et tentera de faire appel ou d’apporter des faits nouveaux pour obtenir une révision du procès ou une nouvelle médiation. Cela peut durer des années, pendant lesquelles le conflit continue et ne fait qu’accroître l’animosité entre les deux parties. Il est rare que les parties puissent complètement se réconcilier après un procès. Il faut noter que si le procès est une pratique très courante en Occident, et surtout aux États-Unis, elle est rare en Asie où on lui préfère généralement un arrangement à l’amiable.

 

Un arrangement à l’amiable est en effet une bonne solution pour résoudre rapidement et complètement un conflit. Pour qu’il soit possible, il faut d’abord que les deux parties acceptent de se réunir, si possible sans la présence de tiers (avocats, médiateurs, psychologues et autres). Et elle réussira presque à coup sûr si on est prêt, soi-même, à prendre la responsabilité du conflit et à faire des concessions, même de grandes concessions.

 

Il faut noter que les personnes avec qui nous sommes en conflits sont souvent des personnes qui nous sont proches, parce que ce sont des personnes avec qui nous avons des affinités, et nous partageons souvent les mêmes problématiques. Lorsque le conflit se déclare, il peut se manifester par une escalade de violence et de malveillance de part et d’autre, mais lorsque le conflit prend fin, celle-ci se transforme subitement en une cascade d’amour et de bienveillance, que les deux parties attendaient avec impatience. Car même si les conflits ne sont drôles pour personne, et sont généralement stupides lorsqu’on les regarde de l’extérieur ou avec un peu de recul, les egos s’acharnent pourtant avec beaucoup de ténacité à défendre des revendications et des droits aussi futiles qu’imaginaires…

 

9 octobre 2018, Chiang Mai

Site créé par Pierre Wittmann
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